Le 23 octobre dernier, Julie Brunie Tajan nous accordait un entretien pour nous parler de son seule-en-scène programmé par Loïc Rojouan au Théâtre des Beaux Arts de Bordeaux
Julie, pouvez-vous nous parler de votre formation et de votre parcours ?
Je suis Julie Brunie Tajan et je suis comédienne depuis 10 ans. Comme le disent à peu près tous les comédiens, j’ai un parcours un petit peu atypique (rires). J’ai commencé par une formation professionnelle au Théâtre en Miettes, j’avais 19 – 20 ans, j’ai toujours voulu être comédienne. J’ai eu une première carrière en tant qu’éducatrice spécialisée puis un jour je me suis inscrite dans une ligue d’improvisation et dès la première fois sur scène ça a été la révélation. Depuis, j’ai fait des formations dans le chant, dans le professionnel, dans le théâtre plus classique.
De quoi parle Juliette ?
Juliette c’est l’histoire d’une femme quarantenaire qui cherche une tenue pour son spectacle… qu’elle est déjà en train de jouer. Elle cherche sa tenue dans une grande penderie où il y a plein de vêtements, et à travers ces vêtements elle va se raconter, par des souvenirs, par des fantasmes qu’elle a d’elle-même, par ce qu’elle aimerait être. Il y a une espèce de mise en abyme parce qu’elle a conscience du spectacle qu’elle est en train de jouer, du public qui est là, elle s’adresse à son metteur en scène, par exemple. Il y a un côté un peu décalé.
« Dès la première fois sur scène j’ai compris que c’était là où je me sentais le mieux, là où j’avais l’impression d’être vraiment à ma place. » Julie Brunie Tajan
Comment vous est venue l’idée de ce spectacle ?
Ce n’est pas très gai. L’idée m’est venue à la mort de ma grand-mère. Je choisis un chemisier, je vais à l’enterrement de ma grand-mère qui était quelqu’un de très important pour moi, puisqu’elle m’a élevée. Un jour je veux remettre ce chemisier et je n’y arrive pas. Parce que je me dis que si je remets ce chemisier il va m’arriver quelque chose de mauvais, il va me porter malheur, il me rappelle trop de mauvais souvenirs. Et je me rends compte que selon la manière dont je m’habille, la manière dont je porte mes vêtements je ne suis pas la même. Je me suis dit que je pouvais faire un spectacle où les vêtements me ramènent à des souvenirs.
Qui est Juliette ? Est-ce que vous êtes Juliette ?
Je pense que c’est forcément un peu de moi parce que je l’ai écrit et que j’ai donné un peu de ce que je suis mais non, Juliette ce n’est pas moi. En même temps elle est quand même quarantenaire, comédienne, avec deux enfants, mariée depuis longtemps, avec une belle-mère bizarre, et est sujette au syndrome de l’ego trip. Juliette c’est un peu toutes les femmes de quarante ans qui se demandent si elles peuvent encore plaire et si elles ont fait les bons choix de vie professionnelle et personnelle.
L’image, l’identité et la séduction sont des topoï très exploités au théâtre. En quoi est-ce que votre traitement de ces sujets diffère des autres ?
Il y a ce truc un peu bizarre où je m’adresse au public comme s’il était mon miroir mais je m’adresse surtout à des spectateurs qui viennent voir une fille, seule sur scène. Je m’adresse à mon miroir parce que c’est mon reflet, et eux sont aussi mon reflet parce que c’est par eux que je deviens comédienne. L’une des particularités de Juliette est que je sais que je suis au théâtre et je m’amuse avec les codes du théâtre.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi vous avez choisi cette photographie pour l’affiche de Juliette et en quoi elle est représentative du spectacle ?
Parce qu’à un moment Juliette fait un selfie et que le selfie, je pense, en termes de rapport à l’image, de rapport à la séduction, par les temps qui courent, c’est ce qui la représente le mieux. Avec cette photo on avait l’idée du selfie avec des fringues étalées un peu partout derrière puis on voit la robe qui a une place centrale pour Juliette. Ensuite, je ne pense pas que l’affiche soit représentative du spectacle et, d’ailleurs, je ne sais pas si c’est vraiment le but d’une affiche.
« Ce qui me fait rire dans la vie c’est les relations humaines. Je les trouve toujours très compliquées mais en même temps quand on prend un peu de recul elles sont toujours très drôles. » Julie Brunie Tajan
Le pitch du spectacle nous porte à croire qu’il s’agit d’un spectacle comique, mais vous, quel regard portez-vous sur ce spectacle ? Diriez-vous que Juliette est plutôt un spectacle de divertissement ou un support à la réflexion ?
Alors au départ, je ne voulais faire qu’un spectacle drole. Et puis en allant creuser dans mon histoire, dans ce que j’avais envie de raconter, finalement, je me suis rendu compte qu’on allait vers des choses peut-être plus touchantes, plus émouvantes. C’est très drole au début puis les gens rient de moins en moins parce que c’est un petit peu plus profond mais cela m’a échappé. Cela m’a échappé jusqu’à ce que j’accepte que ça m’échappe pour mieux le maîtriser. Ce qui m’a le plus surprise c’est qu’il y a plein de gens que je ne connais pas ou que je connais peu qui sont venus me voir en disant qu’ils étaient étonnés de voir que ce n’était pas que drôle, et d’autres qui étaient véritablement touchés.
Combien de temps avez-vous pris pour monter ce spectacle ?
Quand j’ai eu l’idée du sujet, je voulais travailler complètement en improvisation parce que c’est ce que je fais le plus, ce que j’aime faire. Dès que j’en ai parlé à Sébastien, on a improvisé plusieurs situations, plusieurs personnages pendant plusieurs semaines de travail, et on a gardé ce qui nous semblait le plus intéressant pour construire cette histoire. On a dû faire, au total, peut-être douze semaines de travail sur plateau en plus du temps de travail à table qui était de l’écriture pure, étalés sur deux ans.
Du fait de vos précédents spectacles, j’ai vu que vous mêliez souvent musique et cinéma à vos conceptions. Juliette est-ce une pièce de théâtre pur ou est-ce de théâtre couplé à d’autres disciplines ?
Juliette sera du théâtre pur. Cependant mon prochain spectacle sera, je l’espère, musical. C’est une envie que j’ai parce qu’à la vérité j’aurai préféré être chanteuse… tu peux l’écrire ça ? (rires). C’est toujours possible. J’ai déjà eu l’occasion de chanter pour des spectacles mais si j’avais eu à choisir entre être comédienne et chanteuse, j’aurais fait chanteuse… Star de la chanson… Céline Dion. (rires)
Comment s’est passée la collaboration avec Sébastien Genebes en ce qui concerne la mise en scène ? Comment êtes-vous entrés en contact ? Pourquoi avez-vous trouvé intéressant de travailler avec lui ?
Si j’ai choisi de travailler avec Sébastien c’est que j’étais sûre que ça se passerait bien, et je ne me suis pas trompée. On a décidé que ce qui ne nous plaisait pas à l’un ou à l’autre ne restait pas dans la pièce. On n’a gardé que ce dont on était sûrs tous les deux. On travaillait déjà ensemble dans la même compagnie de théâtre d’improvisation, la BIP et on est rapidement devenu amis. Notre lien artistique s’est créé quand on a réalisé une série de court-métrages improvisés sur deux saisons. D’autant plus que je savais qu’il aimait mon travail en improvisation et qu’il serait capable de me dire si je faisais des choses qui n’allaient pas. J’ai une absolue confiance en son travail parce qu’il fait des spectacles incroyables.
« J’avais vraiment envie de le travailler en improvisation parce que c’est là, pour moi, que la spontanéité crée vraiment quelque chose qui se rapproche vraiment du réel Je voulais que cette création soit réelle, réaliste, que mes personnages le soient. » Julie Brunie Tajan
En quoi vos formations académiques et vos différentes expériences professionnelles ont-elles influencés la conception de Juliette ?
La formation qui me sert le plus c’est l’improvisation. L’improvisation peut être de supers spectacles mais reste surtout un processus de création, une façon d’envisager la création au plateau. Je ne me voyais pas faire un spectacle que j’avais écrit pendant des mois toute seule dans ma chambre ou sur un bureau, et ensuite le travailler en plateau. J’avais vraiment envie de le travailler en improvisation parce que c’est là, pour moi, que la spontanéité crée vraiment quelque chose qui se rapproche vraiment du réel Je voulais que cette création soit réelle, réaliste, que mes personnages le soient. Grâce à l’improvisation, je sais toujours me rattraper sur le plateau, j’ai cette maîtrise de la réaction des spectateurs.
Quels sont les ressorts principaux de votre humour ? Par quels procédés est-ce que vous parvenez à faire rire et à divertir le public ?
Ce qui me fait rire c’est les relations humaines que je trouve à la fois drôles et compliquées. L’absurdité et le pathétisme des relations humaines, l’être humain dans tout ce qu’il a de pire et de meilleur, je trouve tout ça très drôle. J’aime jouer des personnages sans cœur, qui ne culpabilisent jamais, ou qui, au contraire, culpabilisent trop. Pour rire de l’absurdité de ces relations et de ces situations j’utilise beaucoup le comique de situation et le comique de répétition.
Comment tient-on tout un spectacle en étant seule en scène ?
Je me pose encore la question… c’est éprouvant. En fait ce qui est éprouvant c’est l’avant représentation, les 15 minutes entre le moment où t’es seule dans les loges du Théâtre des Beaux Arts ou sur le plateau. Tu entends le public entrer, tu te demandes ce que tu fais là, tu te dis que tu ne connais pas ton texte. Maintenant je le vis un peu mieux, je fais un peu de relaxation avant.
Comment se passe l’échange avec le public ?
Pour le moment je ne l’ai joué que deux fois au Théâtre des Beaux Arts de Bordeaux mais vraiment le plus important c’est de gérer le timing du public. Il ne rit pas là où tu t’y attends et tout le monde ne rit pas en même temps. Après comme le personnage de Juliette s’adresse au public, peut-être qu’à terme je pourrai m’amuser avec eux. Pour l’instant je ne me le permets pas mais vu la configuration du spectacle, ce serait possible.
A quoi le spectateur de Juliette doit-il s’attendre ?
A passer un bon moment ? (rires) Plus sérieusement, Juliette c’est une heure où ils ne penseront pas à la sixième extinction de masse, au réchauffement climatique et à la guerre en Syrie… et c’est déjà pas mal une heure… je crois.
Si vous deviez retenir une réplique essentielle de Juliette, quelle serait-elle ?
Une réplique ? Une seule réplique ? Euh… « Sylvain tu me remets du mojito ?! »
Propos recueillis par Alana Robert – Théâtre des Beaux Arts