À l’occasion de la programmation de Tunnel au Théâtre des Beaux Arts, nous avons rencontré Céline Perra, auteure et metteuse en scène de cette création parisienne.
Céline Perra, vous êtes auteure et metteure en scène de Tunnel. Est-ce que vous pouvez nous présenter votre parcours et votre expérience en quelques mots ?
Je m’appelle Céline Perra et je suis comédienne depuis 20 ans. Tunnel est ma première pièce écrite et ma deuxième mise en scène. J’ai commencé les cours de théâtre à 17 ans, une fois partie du Théâtre à Contre-jour, je me suis diversifiée : du café-théâtre sur la place de village, des concours de théâtre dans des belles salles, des théâtres amateurs. J’ai pris des cours à la Théâtrerie à Bordeaux puis je suis allée à Paris, parce que j’avais envie de développer l’audiovisuel, le cinéma et de rencontrer du monde.
De quoi parle Tunnel ?
Tunnel c’est trois frères qui se retrouvent dans la maison de leur mère. Le plus âgé vient d’apprendre que la mère qui a déjà fait un AVC et n’a pas récupéré toutes ses fonctions est menacée par un deuxième AVC qui risque de lui être fatale. Il réunit ses deux frères qu’il ne voit pas souvent, dont il n’est pas proche, et, le temps d’une nuit, nous allons suivre leurs histoires. La pièce parle de l’aliénation absolue qu’on a à nos parents et de comment cette relation-là modèle une grande partie de notre relation au monde et de notre vie.
« Quand on n’est pas enfant unique il est compliqué de comprendre ce que c’est. On est tout le temps le premier et le dernier. » Céline Perra
Pourquoi la pièce s’intitule-t-elle Tunnel ?
Quand j’ai commencé à l’écrire, je ne sais pas pourquoi mais j’avais envie de l’appeler Tunnel. J’avais le point de départ c’est-à-dire une fratrie de trois frères. J’avais envie de l’appeler Tunnel et en développant la pièce je me suis rendu compte qu’il y avait plein de choses qui en parlaient de manière symbolique. On parle souvent du Tunnel de la mort mais aussi du tunnel de la naissance. On a longtemps hésité avec d’autres titres mais Tunnel nous collait à la peau.
Pouvez-vous nous parler de la Compagnie Memso ?
Quand j’ai commencé mon travail sur la mémoire sensorielle avec Robert Castle, il y a toute une partie de ce travail qui nécessitait un training et cela demande du temps sans forcément avoir un projet à travailler. Avec Michaël Assié, Roger Contebardo, Julien Joerger et Apolline Denis, on s’est retrouvé pendant un temps pour s’entrainer, c’est à ce moment qu’on a décidé de monter notre compagnie baptisée Memso, en raison de notre travail sur la mémoire sensorielle. Le troisième projet de la compagnie, Tunnel, est programmé par Loïc Rojouan au Théâtre des Beaux Arts de Bordeaux du 28 novembre au 14 décembre.
Vous expliquez, dans votre note d’intention, avoir une sorte de fascination pour la famille. Quelle définition en avez-vous ? Qu’est-ce que la famille ?
Pour moi la famille a une connotation positive. C’est un endroit de relations où je ne pose pas de questions et où tout se passe bien même après un long moment sans s’être vu. Ce n’est pas un endroit de conflit. Je suis fille unique et les amitiés que j’ai sont comme une famille pour moi dans le sens où c’est celle que j’ai choisie, celle qui me fait me sentir bien. La famille c’est un endroit qui rassemble, un endroit où on se reconnait et où on n’a pas besoin de se prouver les choses.
Toujours dans votre note d’intention, vous dites « l’axe n’est pas mis sur la mort de la mère mais bien sur la vie des 3 frères ». La pièce parle-t-elle plus de la mort ou de la maladie ? Peut-on dire qu’il s’agit d’un prétexte pour réunir une fratrie éclatée ?
S’il n’y a pas la maladie de la mère, les trois frères ne vont pas spécialement se voir, ils n’ont pas d’obligation à se voir. Ils ont tous leur vie. Ils n’ont pas le même père, leur point commun est la mère. Pour la mère ils font un effort. Tunnel n’est pas une pièce sur la mort, c’est une pièce sur la vie. Tunnel se demande comment on vit avec la mère et comment on vit sans elle. Est-ce que ça sera mieux quand elle sera morte ? Que comprendre de son lien à elle au moment où elle part ? Que comprendre de soi ? De l’impact sur ses autres relations et ses choix de vie ?
« La famille c’est un endroit qui rassemble, un endroit où on se reconnait et où on n’a pas besoin de se prouver les choses. » Céline Perra
Chaque artiste, chaque auteur qui crée, laisse un peu de soi dans son œuvre. Est-ce que vous vous inspirez d’expériences personnelles, aussi minimes soient-elles, pour écrire Tunnel ?
Je suis fille unique et je suis fascinée par la fratrie. Quand on n’est pas enfant unique il est compliqué de comprendre ce que c’est. On est tout le temps le premier et le dernier. C’est le plus frappant. Gamine, j’adorais aller chez mes ami(e)s qui ont des frères et sœurs pour voir comment ils se comportent entre eux et comment se comportent les parents. C’est ce que j’ai le plus mis dans la pièce, ma vision des fratries.
En quoi votre expérience cinématographique vous a aidé dans l’écriture et la mise en scène de Tunnel ?
Je n’en ai aucune idée. La seule chose que je peux dire c’est que pendant ma licence d’études cinématographiques j’ai écrit deux petits scénarios et que cela m’aide en ce moment puisque je discute avec Oriane Polack, membre de la compagnie Memso, pour adapter Tunnel au cinéma.
Dans Tunnel, la mère est une présence absente, matérialisée par des enregistrements de voix de Tessa Volkine. Comment vous est venue cette idée ?
Effectivement, la mère est omniprésente parce qu’on ne parle que d’elle mais elle est absente parce qu’on ne la voit pas. Elle a été absente pour les garçons donc ne pas la voir a du sens. D’autant plus que le sujet de la pièce n’est pas la mort de la mère mais bien la relation des trois frères.
« Il y a une réflexion féministe que j’avais envie de mettre en avant par rapport aux carrières des femmes. » Céline Perra
Expliquez-nous comment les trois frères emploient la parole pour reconstruire l’image et le souvenir de la mère ?
Il faut plutôt se demander comment les souvenirs, l’échange des souvenirs recréent l’image de la mère. Selon certains scientifiques, il parait que la moitié de nos souvenirs est fausse. C’est-à-dire que le cerveau reconstruit les souvenirs en permanence et qu’ils ne sont jamais tout à fait exacts. Dans Tunnel, les souvenirs confrontent leurs blind zones les uns aux autres et c’est surprenant parce que pour l’un des frères il est évident que la mère l’a rejeté, pour l’autre non. Ils ont chacun leurs propres souvenirs. Personne n’a tort, personne n’a raison.
Quel traitement du son et de la mélodie proposez-vous dans Tunnel ?
La musique a une place importante et dans la diégèse, et dans la conception de Tunnel. La mère est chanteuse, une artiste qui, dans les années 1980, a dû concilier sa tournée et sa relation à ses fils. Il y a une réflexion féministe que j’avais envie de mettre en avant par rapport aux carrières des femmes. Le fait d’être jugée en tant que mère pour ce que tu n’as pas sacrifié pour tes enfants est une question que je trouve insupportable. Quant à l’écriture, les trois frères ont une manière de parler qui leur est propre et qui complique les échanges. La parole est comme une batterie de jazz : il y a des moments suspendus, des moments où elle s’emballe. C’est pour ça que la batterie est un instrument présent dans les teasers, dans la pièce : parce qu’il y a de ce rythme-là dans l’écriture.
Qui de Jack, Kid et Elvis a été le personnage le plus difficile à écrire et construire ? Pourquoi avoir choisi Julien Joerger, Roger Contebardo et Michael Assie pour tenir ces rôles ?
Aucun, il n’y a pas un personnage que j’ai écrit plus que l’autre. Ensuite, il faut savoir que je ne les ai pas choisis pour incarner ces personnages mais que j’ai écrit ces personnages pour eux. On cherchait une pièce et j’ai eu l’idée de Tunnel. L’important était de créer trois rôles équilibrés. Je n’avais pas envie qu’il y ait un personnage qui soit sur le devant de la scène comparé aux autres.
Si vous deviez retenir une réplique phare de la pièce, quelle serait-elle ?
« J’avais oublié, tu te rends compte ? Tout oublié… ça m’est revenu d’un coup avec tout le décor… »
Pourquoi doit-on venir voir Tunnel au Théâtre des Beaux Arts de Bordeaux?
Parce que ça parle forcément de toi. Parce qu’on a tous des parents. On ne sera peut-être pas tous parents mais on a tous des parents. Même si on ne leur parle pas. Même s’ils sont morts. Même si on ne les connait pas… encore plus si on ne les connait pas. Ça nous définit tous. Parce que tu vas rire et tu vas pleurer.
Propos recueillis par Alana Robert – Théâtre des Beaux Arts